204 / L’école, le système et nos enfants…

Vous avez été assez nombreux à réagir en voyant mon bureau rangé le reportage sur BFM TV dans lequel j’apparaissais le mois dernier, alors plutôt que de vous répondre séparément en MP, je vais essayer d’être le plus claire possible ici (<= ok, j’ai un mois de retard…). Si, toutefois, j’oublie quelques points, ou que vous avez des questions, n’hésitez pas à poster des commentaires au bas de cet article, histoire que le plus grand nombre en profite.

Well… Tout a commencé quand, à peine sortie des bancs de la Fac, heureuse, la satisfaction d’un chouette parcours en poche et la curiosité toujours intacte, chevillée au corps, je m’apprêtais à devenir ethnologue… J’avais la vingtaine rêveuse.

Parcours classique dans une petite école de province. Des instits passionnés, passionnants. Mais surtout, bienveillants. J’y reviendrai…

Fin de CM2, je ne parlais pas un mot d’anglais, je ne savais pas davantage qui a peint la Joconde, mais je savais parfaitement lire, écrire et compter. Parfaitement ? Oui, du CM1 au CM2, mes instits nous donnaient comme « uniques » devoirs, chaque soir, un verbe à conjuguer (aux 4 temps simples ainsi qu’aux quatre temps composés) + 4 opérations (une addition, une soustraction, une multiplication et une division). Chaque soir, donc. J’y passais une heure.

Quand ma mère rentrait le soir, elle passait la tête dans notre chambre, nous demandait si nous avions fait nos devoirs. On avait intérêt à répondre par l’affirmative, et il valait mieux que ce soit vrai…

Au collège ? La suite, sur un rythme plus intense forcément. Découverte de l’anglais en 6e (Where is Brian ? Brian is in the Kitchen !) On n’avait pas de replay en VO, pas d’applis fabuleuses pour réviser, on avait nos cours, rien que nos cours. J’ai poursuivi l’anglais jusqu’à la Fac d’ailleurs. Je ne suis pas totally bilingual mais je peux parler d’à peu près n’importe quoi à n’importe qui, pourvu que ce n’importe qui ne parle pas trop vite. Avec mes copines, on bossait assez dur au collège. Je me souviens des rédactions et des fiches de lecture à rendre très régulièrement. Des livres à lire donc. On ne bronchait pas parce qu’une fois de plus, les profs étaient vraiment au top. Et quand bien même j’ai envie de vous dire, il ne nous serait pas venu à l’idée d’aller dire à nos parents le prof donne trop de devoirs, il n’est pas sympa, il met 3 semaines à rendre nos copies corrigées… On n’avait pas à discuter. On allait en cours, on travaillait…

Pour autant, de mémoire, il y avait chaque année, un, peut-être deux élèves en difficulté. Collège pour tous mi amor, mais pas lycée pour tous… alors quelques-uns ont arrêté l’école en fin de 3e, s’orientant vers ce qu’on appelait déjà la voie professionnelle.

Au collège donc, les profs ont « ouvert » nos cerveaux, nous apprenant à étudier, disséquer des textes, des documents, découvrir des auteurs, et à t.r.a.v.a.i.l.l.e.r en autonomie… Oui, parce que ça s’apprend. Faire et refaire, suivre l’exemple et apprendre aussi à travailler en binôme. Déjà. J’ai adoré cette période. Honnêtement, les cases étaient confortables, pas très étroites alors je rentrais dedans sans problème.

Là, mes biquets, je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent malheureusement pas connaître > j’ai 45 ans. On avait tous un sac US sur l’épaule et c’est d’ailleurs  la seule marque dont je me souvienne… Pas de baskets Nike ni de blousons Abercrombie. Zéro maquillage avant le lycée. Nada. Pas de portes qui claquent à la maison, on avait la rébellion silencieuse…

Je faisais déjà beaucoup de danse et le sport a toujours été pour nous une magnifique soupape. De l’oxygène nécessaire.

Au lycée, c’était beaucoup moins fun, on était très nombreux. J’étais dans un « gros » lycée, mais je me souviens malgré tout de l’attention de nos profs. Pas tous, pas tout le temps, mais globalement, en cas de besoin, on savait trouver une oreille attentive. Faut dire aussi qu’on entendait les mouches voler en classe.

Pas de :

  • Eh m’dame, vous avez une nouvelle robe ou quoi ?

Ni de :

  • Bah ouais, j’ai pas fait mes exos parce que j’avais piscine…

Aujourd’hui, je suis la mère d’une portée de cinq, mon aîné ayant 14 ans, cela fait onze ans maintenant que je vois le système scolaire de l’autre côté du miroir, du côté obscur de la force…

Et que je déchante. Sérieusement.

Pour situer clairement mes problèmes préoccupations, l’aîné est en 3e, n° 2 en 5e, n° 3 en CE2, n° 4 au CP et n° 5 en moyenne section.

La Maternelle, temps béni où seuls les problèmes récurrents de poux apportent un peu d’ombre au tableau presque parfait. L’organisation parentale étant minimale, le niveau de contrainte est plutôt très agréable, donc gérable > pas de devoirs, pas de sac de sport à préparer. Ouf !

De l’absentéisme des profs, mes enfants n’en ont jamais souffert. Ni en maternelle, ni en primaire et encore moins au collège. Je peux dire sans mentir que mon fils aîné a dû aller au maximum 2 fois une heure en perm pour absence de prof en quatre ans. Dans son collège, les profs ont pourtant des gastros et des rhumes, des enfants malades et des burn-out, mais ils sont remplacés aussitôt. Je ne sais pas comment le proviseur et son équipe s’organisent pour gérer tout ça, mais chapeau-bas, ils y arrivent. (Quand ça va, c’est bien de le dire aussi, non ? Parce que tout ne va pas. J’y reviendrai…)

Depuis qu’il est à l’école, n° 1 a ce qu’on va appeler poliment des problèmes d’organisation… Ça frôle souvent le foutage de gueule mais force est de constater qu’il en souffre. Je parle sous le contrôle de Maître Dolto, je pense qu’il ne le fait pas exprès… Il me vrille les nerfs, provoque pas mal de mes insomnies, mais, il s’améliore. Il n’a perdu que deux fois sa trousse cette année, n’a oublié que quatre fois ses affaires de sport, et 8 fois sa carte de cantine…

En grande section, sa maîtresse nous a convoqués tous les mois :

  • Je voulais vous voir parce que n° 1 écrit très mal…
  • Et…
  • Faudrait l’emmener chez un graphologue, ou lui faire faire un bilan chez un orthophoniste, ou peut-être un psy. Enfin vous voyez quoi…
  • Pardon je ne vois pas. Est-ce qu’il a des problèmes de compréhension selon vous ? Est-ce que ce n’est pas à vous de corriger son geste ? Enfin vous voyez quoi…

Tous les mois, j’ai eu droit à :

  • Regardez, je vous montre les dessins de la petite Pauline, ils sont beaux, appliqués, c’est chouette non ? Et regardez ceux de votre fils, franchement…
  • Franchement, mon fils est nul en dessin. OK. Personnellement, pardon hein, mais je me fiche totalement…

Elle a fini par me dire :

  • J’ai compris en fait, il est l’aîné de la fratrie, c’est un garçon (belle observation), il est gaucher, né en fin d’année, bon bah voilà, tout s’explique.

Voilà, voilà.

En CP, il a eu la chance d’avoir une instit formidable. Une qui a su comprendre qu’il lui fallait un peu plus de temps que les autres, qu’il était plus lent, moins concentré sans doute mais qui ne l’a jamais traité comme quelqu’un de mois fort, de moins courageux, de moins travailleur… Différent sans doute, mais ne le sont-ils pas tous ?

Quel enseignant peut dire aujourd’hui, dans ma classe de 30, j’en ai 20 qui roulent super vite ?

Que fait-on quand on a un enfant comme mon fils qui sait faire du vélo sans roulette à 3 ans, qui sait nager sans brassards au même âge, qui grimpe aux arbres et qui dévore les livres mais qui s’ennuie 6 longues heures par jour à l’école ?

Qu’est-ce qu’on leur propose ? Et à nous, parents, qu’est-ce qu’on propose ? Depuis 10 ans j’entends :

  • Faut qu’il se réveille, faudrait qu’il travaille davantage, qu’il participe…

Mais il ne le fera pas. Participer ? Il a trop peur de dire une bêtise, que ses copains se moquent de lui…

L’an dernier, un de ses profs m’a dit :

  • Il est mou quand même, ce serait bien peut-être qu’il fasse un peu de sport, non ?
  • Mon fils s’entraîne 6 jours sur 7 à la piscine, il nage 6 km par jour… Je pense qu’il fait assez de sport, non ?
  • Ah… mais je ne savais pas.
  • Mais c’est normal que vous ne le sachiez pas. En fait. Vous n’êtes pas censé connaître les activités de tous vos élèves et je vous blâme absolument pas. J’apprécierais juste qu’on arrête de coller des étiquettes sur le front des mômes au prétexte qu’ils ont l’air comme ci, et pas comme ça…

Pour que les choses soient parfaitement claires, ce ne sont pas les profs que je critique. Il y a toujours eu des profs extras, d’autres totalement nuls, de même qu’il existe des boulangers au top et d’autres qui feraient bien de rendre le tablier…

Non, ce n’est eux le problème, c’est malheureusement bien pire, ce qui ne va plus du tout, à mon sens, c’est le système. Vaste problème me direz-vous. Oui, très très vaste même.

Ce qui cloche, c’est qu’on a perdu toute notion de bienveillance, que les programmes ne sont pas du tout adaptés. (Et là, je sais vraiment de quoi je parle, je les mets en pages à longueur de journée depuis 20 ans…)

« On » continue à faire les programmes et les manuels comme il y a 20 ans… Or il y a un gouffre entre ma génération et celles de nos enfants. Un gouffre abyssal… Non pas qu’ils soient moins intelligents, ni moins travailleurs.

Différents.

D’ailleurs, je pense sincèrement que nos mômes sont la dernière génération à aller en cours presque sans broncher malgré l’ennui qui les accable, 6 longues heures par jour. Je suis convaincue que si rien ne change, si « on » ne s’adapte pas à eux, les prochains n’iront plus. Ils refuseront d’aller avaler des cours à ce point sans motivation.

La solution ? Je ne l’ai pas. Par contre, j’ai des yeux, et plus encore, des oreilles. Que celui dont le fils ou la fille, tous âges confondus, rentre épanoui le soir, content, avec le sentiment d’avoir passé une chouette journée me fasse signe et chérisse sa chance.

J’en ai 5. Tous les soirs je leur demande :

  • Ça va ma douce/mon trésor ? Tu as passé une bonne journée ?
  • C’était trop long, je me suis ennuyé(e)…

Je ne crois pas faire exception. Les miens ne sont pas super fortiches, certains sont plus travailleurs que d’autres, mais TOUS s’ennuient. Et pourtant, je vois bien que les profs (certains plus que d’autres, on ne va pas se mentir…) ont vraiment du cœur à l’ouvrage, sont motivés, passionnés. Alors quoi ?

Je vois des initiatives un peu partout, des clases inversées, les Mooc, les cours en ligne, du soutien sur Skype… Quand est-ce qu’on va arrêter de nous les visser 6 longues heures sur des chaises ? À quel moment on va leur permettre de s’exprimer, se lever, faire plus de sport, du yoga ?

Pourquoi faut-il aller en Norvège ou en Islande pour voir des élèves souriants et épanouis en classe ? Ah mais oui mais ils ont beaucoup moins d’heures de cours hebdomadaires… Et de fait, moins de vacances ! Et nous ? Quand va-t-on enfin privilégier les rythmes (et la santé) de nos enfants ? Qui aura le courage de donner un énorme coup de pied dans la fourmilière et envoyer valser tous ces paradigmes qui ne fonctionnent plus ? Qui (bordel !)  ? Qui va ENFIN réformer notre école ?

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Arghhh zut, mille excuses, je dois vous laisser pour aujourd’hui… Une urgence à régler. Je vais aller calmer mes petits nerfs déjà bien pelotonnés et je reviendrai terminer cet article… disons demain.

Mais en attendant, si vous avez des questions, suggestions, commentaires…, n’hésitez pas !

10 réflexions sur “204 / L’école, le système et nos enfants…

    • Voilà… les vacances c’est LE débat auquel on assiste tous les ans. Et TOUS les ans… rien ne change. Déjà, au bout de 2 mois ils n’en peuvent plus mais là… 11 semaines, tous les matins ma fille me demande « môman, c’est quand la fin ? ». Bientôt ma douce, bientôt…

  1. que c’est bon de lire un article et de se dire : je ne suis pas folle ! Je suis sur les nerfs aussi car ma première ça roule à l’école, elle rentre nickel dans le système mais ma deuxième pas du tout, elle s’ennuie et n’avance pas comme les autres. Elle a voulu savoir comment la terre tournait et comment on a pu passer des dinosaures à l’humain, je lui ai donné tout ce que je pouvais pour répondre à ses questions, elle a voulu lire mais des BD, je lui donne mes BD, elle veut tirer plus fort dans le ballon je la laisse jouer dehors même sous la pluie, elle veut créer je la laisse ramasser les choses par terre… elle a 6 ans, elle sait lire et écrire mais le reste l’ennuie, elle veut bouger toujours plus. Et à la maison, pendant les vacances, elle va chercher ses cahiers d’exercices toute seule et me demande pour faire des devoirs 20, 30 min et hop on retourne dehors ^^ J’adore sa façon de vivre mais ça ne correspond pas aux autres. Aujourd’hui c’était un remplaçant, il avait un dijiridou et ils ont pu dessiner un dinosaure, elle était tellement souriante. Je ne comprend pas que ce ne soit pas aussi souvent, ceux sont des enfants !!!!
    En tout cas bravo pour ton article (je n’ai pas vu ta vidéo)

    • Merci Mathy ! J’ai remis le lien du reportage du coup directement dans l’article, si tu veux le voir en replay… Et non, tu n’es pas folle, sinon nous sommes très très nombreux à l’être ! Mais merci de ton soutien parce qu’effectivement j’ai parfois l’impression de tourner en rond avec ça et de m’énerver toute seule. On est bien d’accord, on parle d’entants, qu’on ferait presque passer pour des dingues parce qu’on bout de heures vissés à une chaise ils ne tiennent plus en place. Je bosse chez moi, toutes les deux heures je me lève, je me fais un thé, je m’étire, je baille, je prends l »air. Je bosse 12 heures par jour et je tiens le coup parce que je BOUGE. Bonne journée à toi et à tes puces.

      • je vais regarder la vidéo 🙂 on est bien d’accord pour le temps à être assis, même en repas de famille on ne reste pas à table c’est bien que ce n’est pas agréable d’être assis sans bouger !

  2. Très bel article qui fait du bien à lire !!! ma p’tite dernière va faire sa rentrée en septembre, elle est tellement enjouée de découvrir cet univers et pourtant ses 3 grandes sœurs montrent des signes des plus significatifs, pleurs voir crises le midi pour ma 4 ans qui ne veut plus retourner à l’école car elle ne peut pas jouer, ma 6 ans très appliquée mais aussi très angoissée nous fait vivre un enfer sur ses dernières semaines d’écoles et pour ma presque 8 ans elle s’ennuie très clairement, avec son besoin de se défouler, sa soif de lire des encyclopédies ou de faire des expériences … bref une maman sur les nerfs aussi et remontée face à ce changement qui ne vient pas !!! et pourtant oui je suis sûre qu’on est beaucoup à le vouloir !
    encore merci d’avoir pris le temps de mettre tes nerfs en boule pour écrire cet article 🙂

    • Merci Emeline. Merci beaucoup. Il n’est pas terminé (mon article) mais effectivement, je vois que je ne suis pas seule à m’inquiéter… C’est quand même dingue d’aller à l’école à reculons chaque matin en primaire ! Mes grands ont 12 et 14 ans, ils sont ados tendance rebelle (je l’étais au même âge…) et rien ne va à cet âge, ok, mais nos petits bon sang, il faut vraiment que ça bouge pour eux… À bientôt j’espère et merci d’être passée par là.

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